Interdiction d’exercer

Son « calvaire », comme il le décrit, aura duré près de six mois. Carlos*, âgé de 47 ans, n’a vécu que pour son métier. Infirmier libéral depuis plus de 20 ans, il a dû mettre sa pratique en sommeil. Contraint et forcé par la justice après s’être retrouvé au cœur d’une sordide affaire de meurtres. Mis en examen en février dernier pour « non-dénonciation de crime » et « recel de malfaiteurs », le quadragénaire s’est également vu interdit d’exercer.

Son tort ? Avoir prodigué des soins à un inconnu, grièvement brûlé aux bras et aux jambes. Ce dernier a été interpellé puis écroué à la fin de l’été 2016, en compagnie de sept autres complices présumés. Il est soupçonné d’avoir volontairement provoqué une explosion dans un immeuble de la rue Fondary dans le 15e arrondissement, le 3 août 2016, après y avoir répandu de l’essence. La puissante déflagration avait détruit une partie d’un immeuble et causé la mort d’une escort-girl, présente sur place. La veille, une première prostituée y avait été lardée de coups de couteau. Son corps avait ensuite été abandonné dans une cave dans le 17e arrondissement.

« Moi, je ne savais évidemment rien de tout ça…, souffle aujourd’hui Carlos. Si j’avais su, jamais je ne serais intervenu. »

« Cauchemar judiciaire »

La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris vient de lui permettre, dans un arrêt du 6 juillet, de reprendre son activité professionnelle. Jusqu’alors gérant de son propre cabinet, Carlos envisage désormais l’avenir différemment. « Je vais chercher des remplacements ou une collaboration, mais je ne veux plus travailler comme un dingue comme je le faisais avant, évoque-t-il. J’ai compris qu’il fallait, dans cette société, d’abord se protéger. J’ai, peut-être, été un peu naïf. Mais comment aurais-je pu savoir ? »

Sa première rencontre avec celui qui l’a entraîné dans ce « cauchemar judiciaire », il s’en souvient comme si c’était hier. « Le fils d’un de mes anciens patients m’avait appelé en me demandant de venir pour soigner son frère qui s’était coupé, se remémore Carlos. Quand je suis arrivé, je me suis retrouvé dans une chambre d’hôtel devant un homme qui n’était pas celui que j’étais censé soigner. »

Carlos questionne alors cet inconnu, présentant d’importantes brûlures au deuxième degré aux bras et aux jambes. « Je lui ai tout de suite dit qu’il devait être hospitalisé au regard de ses blessures, poursuit l’infirmier. Il y avait un risque d’infection. J’ai appelé, en sa présence, à trois reprises les urgences, mais il m’a dissuadé en soutenant qu’il était fatigué et qu’il irait voir bientôt un médecin. »

Même s’il comprend que « quelque chose ne tourne pas rond », Carlos revient ensuite une dizaine de fois afin de poursuivre ses soins. « Il m’avait dit qu’il s’était brûlé en manipulant de l’essence, mais sans aller plus loin, ajoute l’infirmier. J’ai pourtant insisté pour en savoir plus mais mes questions sont restées sans réponse. » Avant sa convocation, six mois plus tard, par la police.

« Là, tout s’est écroulé pour moi, lâche Carlos, manifestement encore très ému. J’ai été aussitôt placé en garde à vue. C’était l’incompréhension totale. Au fur et à mesure que je découvrais les dessous de cette affaire, tout mon monde se délitait. Si cet homme avait été blessé par balle, j’aurais tout de suite alerté la police. Mais là, j’ai paré au plus urgent. J’estime avoir fait mon travail et rien d’autre. Je n’ai jamais envisagé un mauvais coup derrière tout ça et je ne me suis jamais senti en danger. »

« Je me suis senti bafoué et humilié »

Totalement déboussolé en sortant du cabinet du juge d’instruction, Carlos pense même qu’il va être incarcéré. « Je respire un peu aujourd’hui mais je suis toujours dans une prison psychologique, estime-t-il. Cette interdiction d’exercer m’a fait beaucoup de mal. J’avais un peu d’argent de côté, ce qui m’a permis de régler mes charges, mais sinon comment aurais-je fait ? À un moment, j’ai envisagé le pire. Je me suis senti bafoué et humilié. » Carlos considère que son avocat, Me Manuel Abitbol, a joué un rôle déterminant dans ce qu’il considère comme un « retour à une vie normale ». « S’il n’avait pas été là, je ne sais pas ce que je serais devenu, confie-t-il. Cela aurait pu très mal se finir pour moi. Je pense qu’il m’a sauvé la vie, il y a un peu de ça quelque part. »

De son côté, son défenseur soutient que « rien ne justifie les poursuites » contre son client. « Il n’y a aucun élément dans ce dossier qui permet de dire que mon client savait ce qu’il s’était passé, affirme Me Manuel Abitbol. Je viens d’ailleurs de déposer une requête en nullité de sa mise en examen. Certains juges d’instruction confondent justice et répression. C’est le cas dans ce dossier ! »

* Le prénom du témoin a été modifié

Sources : Le Point : http://www.lepoint.fr/faits-divers/l-infirmier-interdit-d-exercer-apres-avoir-soigne-un-meurtrier-presume-02-08-2017-2147490_2627.php