Sur l’obligation faite aux juges, à peine de nullité de la décision à intervenir, de répondre de façon motivée à toute demande de renvoi fondée sur l’indisponibilité de l’avocat
A titre liminaire, il convient de rappeler les règles du procès équitable telles que définit par l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales lesquelles régissent la procédure pénale dans son
ensemble (nombreuses décisions de la Cour européenne des droits de l’Homme, parmi lesquelles Pélissier et Sassi c. France (GC), n°25444/94, § 45, CEDH 1999-II), singulièrement la phase antérieure au jugement, notamment la détention provisoire, même si celle-ci est prioritairement concernée par l’article 5 de la même Convention (CEDH, Imbroscia c. Suisse, 24 nov. 1993, § 36, série A n° 275 ; CEDH, Fodale c. Italie, 1er juin 2006, req. n° 70148/01).
Aux termes du paragraphe 3 b et c dudit article 6, tout accusé a droit notamment à « disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense » ainsi qu’à « se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix » (l’article préliminaire du Code de procédure pénale disposant que « toute personne suspectée ou poursuivie (…) a le droit (…) d’être assistée d’un défenseur », droit qui doit être effectif). En droit interne, l’article préliminaire du Code de procédure pénale reprend cette exigence et dispose :
« La procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l’équilibre des droits des parties. (…) Toute personne suspectée ou poursuivie (…) a le droit (…) d’être assistée d’un défenseur. »
C’est la raison pour laquelle, à peine de nullité de la décision à intervenir, les juges ne peuvent, sans motiver leur décision, refuser
le renvoi d’une affaire lorsque leur est parvenue avant l’audience, par télécopie ou par courrier, une demande motivée et pertinente formulée à cette fin par la personne poursuivie ou par son avocat sur le fondement de l’absence ou de l’indisponibilité dudit avocat (CEDH, Rivière c. France, 25 juill. 2013, req. n° 46460, § 31 ; Crim. 24 mai 2006, B. 147 ; Crim. 16 déc. 2008, n° 08-85.341 – Pièce n° 4 ; Crim. 15 juin 2010, B. 108 ; Crim. 16 juin 2011, n° 10-86.934 – Pièce n° 5 ; Crim. 12 avr. 2012, B. 97 ; Crim. 5 déc. 2012, n° 12-80.155 – Pièce n° 6 – Crim. 19 févr. 2014, n° 13-81.327 – Pièce n° 7 – Crim. 20 janv. 2015, n° 14-82.468 – Pièce n° 8).
Est ainsi frappée de caducité la jurisprudence plus que séculaire qui faisait de toute décision relative à la « remise de cause » une « simple mesure d’ordre » n’ayant pas à être motivée puisque insusceptible de voie de recours (Crim. 24 mai 1890 : DP 1890. 1. 450.).
Cette règle s’impose notamment au Juge des Libertés et de la Détention (Crim. 6 juill. 2011, n° 11-82.817 – Pièce n° 9), pourvu que la demande de renvoi soit motivée de façon à lui permettre d’en apprécier la pertinence (Crim. 5 avr. 2016, n° 16-80.294, publié au Bulletin – Pièce n° 10 ; Crim. 4 mai 2016, n° 16-81.158 – Pièce n° 11).
Sur ce point, selon la Cour européenne, les demandes de renvoi reposant sur des justificatifs objectifs, et non sur de simples
affirmations non étayées de l’accusé, doivent non seulement être effectivement examinées par les juridictions internes, mais également donner lieu à une réponse motivée (CEDH 25 juillet 2013, Rivière et a. c/ France, req. N°46460/10).
La Chambre criminelle rappelle elle aussi cette exigence.
Encourt ainsi la cassation l’arrêt ne mentionnant ni la demande de renvoi ni la décision des juges en réponse à cette demande (Crim. 16 déc. 2008, n°08-85.341 – Pièce n° 12 ; v. également : Crim. 9 févr. 2010, n°09-81.781– Pièce n° 13 ; Crim. 15 juin 2010, Bull. crim. n°108 – Pièce n° 14 ; Crim. 12 avril. 2012, n°11-86.898, Bull. crim. n°96 – Pièce n° 15 ; Crim. 19 févr. 2014, n°13-81.327 – Pièce n° 16), à tout le moins lorsque cette demande expose les motifs qui la soutiennent et permet ainsi aux juges d’en apprécier la pertinence (Crim. 5 avril. 2016, n°16-80.294 – Pièce n° 17).
La Chambre criminelle rappelle de manière récurrente, au visa des articles 6§3 c) de la Convention européenne des droits de l’homme et préliminaire du Code de procédure pénale, que « les juges ne peuvent, sans le motiver, refuser le renvoi d’une affaire sollicité par le prévenu en raison de l’absence de l’avocat choisi » (Crim. 24 mai 2006, n°05-85.685, Bull. crim. n°147 – Pièce n° 18 ; Crim. 16 déc. 2008, n°08-85.341 – Pièce n° 19 ; Crim. 15 juin 2010, n°09-88.193, Bull. crim. n°108 ; Crim. 16 juin 2011, n°10-86.934 – Pièce n° 20; Crim. 12 avril 2012, n°11-86.898, Bull. crim. n°97 ; Crim. 20 janv. 2015, n°14-82.468 – Pièce n° 21 ).
Cette règle s’impose au juge des libertés et de la détention (Crim. 6 juill. 2011, n° 11-82.817 – Pièce n° 22), sa spécificité exigeant
seulement que la demande de renvoi lui soit adressée en temps utile pour autoriser une nouvelle convocation et la tenue d’un débat contradictoire dans les délais légaux (Crim. 13 sept. 2011, n° 11-84.909 – Pièce n° 23).
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Si la Chambre criminelle a jugé que la décision par laquelle une juridiction refuse de renvoyer l’affaire à une audience ultérieure ne constitue qu’une mesure d’administration judiciaire qui échappe au contrôle de la Cour de cassation (Crim. 31 mai 2005, n°04-86.611 – Pièce n° 24 ; Crim. 7 oct. 2009, n°08-84.348 – Pièce n° 25).
Il n’en demeure pas moins vrai que les juges sont tenus de répondre par une motivation suffisante à toute demande de renvoi.
En effet, à partir du moment où la Chambre criminelle exige des juridictions répressives qu’elles motivent leur décision de refus de demande de renvoi, elle doit nécessairement vérifier que la motivation retenue par ces dernières est conforme aux exigences de l’article 593 du Code de procédure pénale, qui dispose:
« Les arrêts de la chambre de l’instruction ainsi que les arrêts et jugements en dernier ressort sont déclarés nuls s’ils ne contiennent pas de motifs ou si leurs motifs sont insuffisants et ne permettent pas à la Cour de cassation d’exercer son contrôle et de reconnaître si la loi a été respectée dans le dispositif.
Il en est de même lorsqu’il a été omis ou refusé de prononcer soit sur une ou plusieurs demandes des parties, soit sur une ou plusieurs réquisitions du ministère public. »
Au visa de cet article, la Cour de cassation rappelle ainsi constamment que « tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs
propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties; que l’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence » (pour un exemple récent en matière de détention : Crim. 4 mai 2016, n°16-81.158).
Elle a ainsi récemment cassé, au visa de l’article 593 du Code de procédure pénale, l’arrêt d’une chambre de l’instruction qui avait
refusé d’annuler une ordonnance de prolongation de détention provisoire alors qu’elle avait constaté qu’aucune réponse n’avait été donnée par le juge des libertés et de la détention dans sa décision, prise après un débat contradictoire tenu sans la présence de l’avocat, à une demande de renvoi formulée dix jours auparavant (Crim. 4 mai 2016, n°16-81.158 – Pièce n° 26).
A l’inverse, justifie sa décision la chambre de l’instruction qui, pour écarter le moyen pris de la nullité du débat contradictoire tenu par le juge des libertés et de la détention, énonce que les avocats du mis en examen ont été régulièrement convoqués et que les délais ne permettaient pas de les convoquer à nouveau, compte tenu de l’emploi du temps du juge, la demande de renvoi ayant été adressée et reçue tardivement (Crim. 13 sept. 2011, n°11-84.909).
A contrario, une chambre de l’instruction, qui constate que le renvoi de l’audience à une date ultérieure n’empêchait pas le juge des libertés et de la détention, auquel était soumis une demande de renvoi motivée et justifiée par le respect des droits de la défense, de statuer dans les délais légaux, ne peut refuser d’annuler l’ordonnance de prolongation de la détention provisoire.
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Ainsi, le Juge des Libertés et de la détention ne peut, sans motiver sa décision, refuser de renvoyer une affaire lorsqu’il est saisi d’une telle demande par l’avocat du mis en examen avant l’audience.
A fortiori l’absence de toute mention relative au rejet de la demande de renvoi formulée par le conseil du mis en examen dans le corps de l’ordonnance de prolongation entraîne incontestablement son irrégularité.
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