Source Lepoint.fr
le pasteur, le banquier, l’aide à domicile et la retraitée millionnaire
Une retraitée millionnaire aurait été abusée par plusieurs personnes de son entourage. Deux enquêtes sont en cours, dont une pour abus de faiblesse.
Par Stéphane Sellami
L’affaire a des allures de Crime de l’Orient-Express, version édulcorée car aucune goutte de sang n’a été versée. L’intrigue se noue autour des soupçons sur la captation de l’héritage d’une retraitée fortunée, décédée à l’âge de 95 ans au mois de décembre dernier à Paris. Selon nos informations, une plainte contre X pour « abus de faiblesse » a été déposée dès le mois d’avril 2017 auprès du parquet de Paris et une enquête est en cours. Un pasteur, officiant au sein de l’église protestante de l’Etoile, sise dans le 17e arrondissement, a déjà fait l’objet d’une audition libre par la police.
Toujours selon nos informations, un banquier et une aide à domicile ont, eux, été placés en garde à vue alors que le domicile d’Arlette Costil – une paisible retraitée « au caractère affirmé », ainsi que la dépeint un parent éloigné –, situé boulevard Lannes dans le 16e arrondissement, a été le théâtre d’un vol commis sans effraction. En se rendant à son domicile au mois d’avril dernier, des policiers, chargés de l’enquête sur l’abus de faiblesse dont elle aurait été victime, ont constaté qu’un coffre-fort présent dans ce « vaste appartement, doté d’une vue remarquable », implanté à deux pas de l’ambassade de Russie, avait été forcé. Pour l’heure, le ou les cambrioleurs n’ont pas été identifiés et le contenu du coffre-fort n’a pas pu être déterminé. Entendus, le banquier et l’aide à domicile de la victime, suspectés d’avoir été en possession des clés de son appartement, ont nié être à l’origine de ce mystérieux cambriolage. En revanche, leurs noms apparaissent bien sur le testament olographe établi par Arlette Costil à l’été 2016. Sur le même document figure également en tant que légataire universel l’église protestante de l’Étoile. Un voisin d’Arlette Costil, logé depuis plusieurs années à titre gratuit dans l’un de ses biens, ainsi que l’une de ses anciennes locataires ont aussi hérité de la nonagénaire.
Mauvaise chute
Célibataire, sans enfant, Arlette Costil a toujours vécu dans cet immeuble au sein duquel ses parents avaient bénéficié de plusieurs logements après avoir accepté de voir détruit leur hôtel particulier qui en occupait l’emplacement. Cette ancienne secrétaire, employée par l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco), passionnée par les voyages et la photo, possédait neuf biens immobiliers (cinq appartements, un studio et trois chambres de bonne) au moment de sa mort. L’un de ses comptes bancaires était également créditeur de plus de 2,2 millions d’euros. À 95 ans, elle percevait encore près de 13 500 euros de revenus mensuels, fruits de ses loyers et de sa retraite. Affaiblie par une mauvaise chute, la nonagénaire avait été placée sous tutelle, au regard de son état de grande vulnérabilité, en janvier 2017. Examinée par un médecin, requis par le procureur de la République, Arlette Costil se trouvait alors dans un état de grande lassitude « physique et morale ». « Madame Costil se dit aussi complètement perdue, ne sachant plus ce qu’elle fait, avait encore précisé le médecin à l’époque de son examen. Elle présente de gros troubles cognitifs. Elle est perdue dans son patrimoine, elle ne sait plus combien elle a encore d’appartements ni à combien s’élèvent sa retraite et ses revenus locatifs. »
« Dans ce testament olographe, rédigé le 16 juin 2016, il est stipulé que, outre l’église protestante de l’Étoile qui se voit léguer quatre appartements et deux chambres de bonne, son ancien banquier récupère un studio et une cave, son aide à domicile, une chambre de bonne, son locataire, exempté de loyer, un appartement au 9e étage avec une terrasse sur le toit et son ancienne locataire, la somme de 2,2 millions d’euros présente sur l’un de ses comptes, confie une source proche de l’affaire. Le tout légué net de droits de succession ! On ne peut que s’interroger sur les conditions dans lesquelles a été rédigé ce testament et sur les réelles volontés de la défunte. » « Ma cliente étant décédée, je ne peux prendre la liberté de m’entretenir avec vous de cette affaire, dans laquelle une enquête pénale est de surcroît, et sauf erreur, toujours en cours », nous a indiqué l’avocat de feu Arlette Costil, Me Valéry Montourcy. « Je visitais cette cousine deux fois par an et nos liens familiaux étaient trop éloignés pour que je puisse être concerné par cet héritage, relate un membre de sa famille, joint par Le Point. Déjà en 2015, elle présentait des signes de faiblesse mentale. Elle ne se souvenait plus de moi. À l’époque, j’avais eu connaissance d’une transaction immobilière concernant l’un de ses appartements, ce qui m’avait beaucoup surpris. Elle n’était déjà plus en état. Elle avait franchement un peu perdu la tête. » Le même parent estime que sa cousine éloignée aurait été « bien incapable » de rédiger seule ce testament olographe à l’été 2016, « car elle n’arrivait déjà plus à écrire à cette époque ».
« Une amitié de longue date »
Sollicité, l’avocat de l’ancienne aide à domicile de la victime, Me Philippe Ruimy, rappelle que sa cliente « ne fait l’objet d’aucune poursuite pour le moment ». « Arlette Costil était une fidèle de notre église depuis l’âge de 5 ans et l’école biblique, indique le pasteur Louis Pernot, de l’église protestante de l’Étoile. Depuis vingt ans, elle était présente tous les dimanches. Je ne savais pas qu’elle avait décidé de faire de notre église son légataire universel. Dans la mentalité protestante, on ne clame pas sa générosité sur les toits, ce serait inconvenant. L’église prend tout avec grâce et reconnaissance. » Questionné sur le fait qu’Arlette Costil n’était plus en capacité de rédiger elle-même ce testament, le pasteur Louis Pernot se veut formel : « C’est bien son écriture, c’est la sienne, c’est sûr. »
« J’ai absolument toutes les preuves que mon client est innocent, affirme, de son côté, Me Manuel Abitbol, l’avocat de l’ancien banquier d’Arlette Costil. Tout d’abord, j’ai de nombreuses preuves démontrant une amitié longue de trente ans entre la défunte et mon client, qui partaient notamment en voyage ensemble. J’ai également des témoins qui peuvent attester de ce que le studio d’une valeur de 500 000 euros dont bénéficie mon client dans le testament lui était promis depuis vingt ans. Madame Costil était, à l’époque, encore jeune et pas en état de faiblesse. Enfin, mon client est à la tête d’une fortune de près de 15 millions d’euros. Pourquoi aurait-il eu besoin d’être sur ce testament ? »