D’après nos informations, 13 suspects dans une série de vols de fret, notamment des sacs de luxe, viennent de bénéficier d’une phrase maladroite prononcée par un magistrat. Toute l’enquête est désormais annulée. Ils pourraient échapper à toute sanction. Et les objets qu’ils ont volé ainsi que leur arsenal leur ont été restitués…
Leur arrestation avait été un beau succès policier. Au cours de l’année 2014, 13 hommes sont arrêtés par la Direction centrale de la police judiciaire, soupçonnés d’être derrière une série de braquages. Leur spécialité : le vol de fret. Pour les enquêteurs, une partie de cette équipe a notamment dérobé le 11 mars 2014 le contenu d’un poids-lourd plein à craquer de maroquinerie Louis Vuitton. Montant du butin : près d’un million d’euros.
Le gang vient pourtant de bénéficier d’un incroyable « couac » judiciaire. Le 8 avril 2016, la Chambre de l’instruction près la cour d’appel de Paris a en effet décidé d’annuler toute la procédure mise en route depuis deux ans. Un des suspects incarcéré a été remis en liberté immédiatement. Un autre, en cavale grâce une précédente bévue judiciaire, n’est désormais plus en fuite aux yeux de la justice. Leurs complices présumés mis en examen et laissés libres, eux, voient leur contrôle judiciaire stoppé net.
Sacs, brouilleurs, détecteurs… Ils ont tout récupéré
Les suspects se sont également vus restituer les objets saisis chez eux en perquisition : des sacs Vuitton et Hermès, d’importantes sommes d’argent en liquide, ainsi que tout l’attirail classique des équipes de braqueurs : des dizaines de téléphones portables, des plaques d’immatriculation, des brouilleurs et des détecteurs d’ondes… Seules les armes à feu saisies restent entre les mains de la justice.
« Vu et ne s’oppose »
Un juge d’instruction parisien reste chargé de l’affaire, aujourd’hui vidée de presque tout son contenu : écoutes téléphoniques, filatures, auditions et aveux en garde-à-vue, etc… Tous ces actes sont aujourd’hui inutilisables.
La faute à une malheureuse phrase écrite par un magistrat du parquet de Pontoise, dans le Val-d’Oise, en avril 2014 : « Vu et ne s’oppose ». Ces quelques mots anodins sont alors adressés à l’un de ses voisins de bureau, le magistrat instructeur au Tribunal de grande instance de Pontoise chargé de l’enquête. Ce juge alertait simplement à ce moment-là le ministère public sur la complexité du dossier et le besoin de le transférer à ses homologues de la JIRS (Juridiction interrégionale spécialisée) de Paris, plus apte à traiter des investigations de longue haleine.
« C’est le contraire d’un scandale judiciaire »
Mais un avocat parisien, Me Thomas Bidnic, va découvrir l’erreur et s’engouffrer dans la brèche. La phrase du magistrat ne colle en effet pas avec les règles strictes du Code de procédure pénale. « Les mots ont leur importance, explique l’avocat. Le parquet devait prendre une décision, et non pas suivre les ordres ». La Chambre de l’instruction, alertée, va aller dans le même sens : ces quelques mots ne constituent pas des réquisitions en bonne et due forme, indispensables d’après la Cour avant tout dessaisissement au profit d’une autre juridiction.
« La décision peut étonner, voire même choquer le grand public, explique maître Manuel Abitbol, qui défend deux des mis en cause. Mais c’est le contraire d’un scandale judiciaire. C’est l’application stricte de la loi. C’est l’inverse qui aurait été un scandale : ne pas annuler cette procédure. »