Abus de faiblesse

L’ABUS FRAUDULEUX DE L’ETAT D’IGNORANCE OU DE FAIBLESSE

(dénommé ci-après « abus de faiblesse »)

 

Le délit d’abus de faiblesse est défini par l’article 223-15-2 du Code pénal, lequel dispose :

« Est puni de trois ans d’emprisonnement et de 375000 euros d’amende l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse soitd’un mineur, soitd’une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ouconnue de son auteur, soitd’une personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement, pour conduire ce mineur ou cette personne à un acte ouà une abstention qui lui sont gravement préjudiciables.

Lorsque l’infraction est commise par le dirigeant de fait ou de droit d’un groupement qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d’exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités, les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 750000 euros d’amende. »

Le présent article a connu une évolution relativement importante :

  • Loi du 12 juin 2001[1], laquelle a supprimé la notion de « contrainte» des éléments constitutifs du délit d’abus de faiblesse ayant ainsi conduit la chambre criminelle de la Cour de cassation à considérer la nouvelle infraction plus sévère que la précédente[2].
  • Loi du 12 mai 2009[3], laquelle a finalement modifié la partie du texte relatif à l’état de vulnérabilité de la victime en disposant que cet état peut être « connu »ou« apparent »pour l’auteur de l’infraction et non plus « connu et apparent ». Cette dernière modification législative a une importance non négligeable, comme il sera étudié ci-après, dans la démonstration de la constitution du délit d’abus de faiblesse.

I Les éléments constitutifs du délit d’abus de faiblesse

Le délit d’abus de faiblesse impose des conditions particulières relatives à l’état de la victime (A) et d’autres relatives à l’auteur de l’infraction (B).

A – L’état de la victime

Trois types de personne protégée, indépendants les uns des autres, sont énumérés par l’article 223-15-2 du Code pénal :

  • Les mineurs (1),
  • Les personnes en état de vulnérabilité lié à l’âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, apparent ou connu (2),
  • Les personnes en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement (3).

Enfin, il sera étudié l’état d’ignorance ou la situation de faiblesse de la victime, laquelle doit être cumulative avec l’un des trois cas de vulnérabilité précédents (4).

  • Les mineurs

Les mineurs ont été implicitement considérés en état d’ignorance ou en situation de faiblesse de par leur âge par le législateur, exception faite des mineurs émancipés, lesquels sont soumis au même régime que les majeurs.

  • L’état de vulnérabilité lié à l’âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, apparent ou connu
Facteurs de vulnérabilité selon l’article 223-15-2 du Code pénal Description Exemples
Age S’agissant de l’âge, il est régulièrement admis que ce dernier n’est pas constitutif à lui seul d’un état de particulière vulnérabilité, la preuve de celle-ci devra être apportée[4].
Maladie  

 

Ces facteurs peuvent aisément se confondre entre eux, voire même se cumuler; la jurisprudence tend d’ailleurs à assimiler ces notions.

 

Il est intéressant de constater que les juges du fond ajoutent souvent un de ces facteurs à la notion d’« âge » afin de démontrer une vulnérabilité particulière.

 

 

 

– déficience mentale

– débilité mentale

– handicap mentale

– personne âgée et malade mise sous curatelle[5]

– syndrome anxio-dépressif[6]

– maladie d’Alzheimer

– personne âgée souffrant de difficultés visuelles et auditives

– troubles de la mémoire

– dépression…

 

 

Infirmité
Déficience physique ou psychologique
Grossesse Le législateur a estimé que les femmes enceintes sont implicitement dans un état de vulnérabilité.

Néanmoins, il convient de préciser que selon le Professeur Guy Raymond, « aucun de ces états (physiques) ne peut en lui-même être suffisant pour caractériser à lui seul la vulnérabilité de la personne. Il faudra, semble-t-il, que cet état physique entraîne une altération de la volonté et prive la personne de son plein libre arbitre. On pourrait presque dire que l’état physique constituerait une présomption simple qui devrait être complétée par la preuve de l’incidence sur l’état psychique. »[7]

Enfin, il est important de souligner que l’état de vulnérabilité de la victime, peu importe sa nature, est apprécié au momentoù est accompli l’acte gravement préjudiciable[8].

  • L’état de sujétion psychologique ou physique résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement

Ajout de la loi précitée du 12 juin 2001[9], cette dernière catégorie vise essentiellement la répression d’abus de la part des mouvements sectaires, bien que très peu de condamnations n’aient été prononcées à leur encontre.

  • L’état d’ignorance ou la situation de faiblesse de la victime

« Est puni de trois ans d’emprisonnement et de 375000 euros d’amende l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse soit… »

Selon la lettre de l’article 223-15-2 du Code pénal, l’état de vulnérabilité de la victime, issu d’un des trois cas précédemment évoqués (1,2,3), doit s’accompagner d’un état d’ignorance ou d’une situation de faiblesse[10], en ne sachant pas ou en ne pouvant pas résister à l’auteur du délit.

Néanmoins, cet état, ou cette situation, sont régulièrement déduites de l’état de vulnérabilité de la victime objectivement démontré.

→ Enfin, il est important de souligner que l’état de vulnérabilité des victimes, notion extensive, est laissé à l’appréciation souveraine des juges du fond, la Cour de cassation se contentant de vérifier l’absence de contradiction comme d’insuffisance.

B – Les conditions relatives à l’auteur de l’infraction

Il conviendra d’envisager une distinction classique entre éléments matériels (1) et élément intentionnel de l’infraction (2).

  • Les éléments matériels de l’infraction

Un abus:

La notion d’abus n’est pas définie par le législateur, néanmoins, en matière d’abus de faiblesse, la jurisprudence admet largement que l’abus est déduit des actes ou abstentions préjudiciables que la victime va être conduite à adopter[11].

Un acte ou une abstention gravement préjudiciable à la victime:

Tout d’abord, il est important de souligner que la lettre du texte impose de rapporter la preuve d’un préjudice, mais également celle de la gravité de ce dernier.

Néanmoins, si le texte exigeant un « grave » préjudice peut laisser penser qu’un préjudice léger ne serait pas poursuivi laissant ainsi aux juges le soin d’établir un seuil de gravité, la jurisprudence a admis qu’il suffisait que le comportement incriminé ait été « de nature » à causer « un grave préjudice », l’article 223-15-2 du Code pénal « n’exigeant pas que le dommage se soit réalisé »[12].

Exemples d’actes gravement préjudiciables
Testaments « Pour une personne vulnérable, l’acte de disposer de ses biens par testament en faveur de la personne qui l’a obligée à cette disposition, constitue un acte gravement préjudiciable… » (Cass. Crim. 15 novembre 2005, n°04-86051)

 

« Constitue un acte gravement préjudiciable pour une personne vulnérable celui de disposer de ses biens par testament en faveur d’une personne qui l’a conduite à cette disposition. » (Cass. Crim. 21 octobre 2008, n°08-81126)

Prêts d’argent Le fait pour un médecin de se faire prêter d’importantes sommes d’argent en profitant de la situation de dépendance de ses patients âgés. (Cass. Crim. 05 octobre 2004, n°02-86522)
Prix de vente extrêmement faible Un médecin s’est fait consentir par son malade un compromis de vente pour un immeuble à un prix extrêmement faible par rapport à la valeur réelle du bien. (Cass. Crim. 12 janvier 2000, n°99-81057)

Enfin, le grave préjudice issu de l’acte ou de l’abstention doit être personnelà la victime. Pour exemple, la Cour d’appel de Bordeaux « a refusé de requalifier l’infraction, comme le demandait le parquet, en abus de faiblesse sur mineur, car le préjudice grave n’existait pas à l’encontre du mineur abusé mais à l’égard de l’adulte propriétaire, alors même qu’une jeune fille avait accepté, en l’absence du propriétaire, à l’occasion d’une brocante, de vendre pour 900 francs, des objets qui étaient évalués à 9 000 francs. »[13]

  • L’élément intentionnel

L’élément intentionnel du délit d’abus de faiblesse suppose que l’auteur de l’infraction ait eu connaissance de la fragilité de la victime, et qu’il ait voulu l’exploiter.

S’agissant du caractère apparent ou connude l’état de vulnérabilité de la personne majeure:

Si la loi précitée du 12 mai 2009[14]n’a modifié qu’un simple terme de l’article 223-15-2 du Code pénal en changeant un « et »en « ou », la disparition du caractère cumulatif d’un état d’ignorance ou de faiblesse apparent etconnu par l’auteur de l’infraction facilite grandement la caractérisation du délit.

En effet, l’état de vulnérabilité d’une personne ne pourra être qu’apparent ou connu de l’auteur de l’infraction. Cette légère retouche législative de l’article 223-15-2 du Code pénal permet une meilleure protection juridique des personnes dont l’état de vulnérabilité était connu par l’auteur mais non apparent à ses yeux.

En application, l’intention frauduleuse se déduira de l’état psychique de la victime et des circonstances dans lesquelles l’engagement a été pris.

II La répression de l’abus de faiblesse

A titre liminaire, il convient de préciser que la tentative d’abus de faiblesse n’est pas punissable, faute d’être prévue expressément par un texte.

S’agissant de l’auteur de l’infraction, celui-ci peut être indifféremment une personne physique (A) ou une personne morale (B).

A – L’auteur personne physique

L’article 223-15-2 du Code pénal prévoit une peine d’emprisonnement de trois ans et 375 000 € d’amende pour toute personne physique auteur du délit d’abus de faiblesse.

Il est à préciser que cette peine principale peut être assortie de peines complémentaires, lesquelles sont prévues à l’article 223-15-3 du précédent code.

Le délai de prescription de l’action publique en matière d’abus de faiblesse ne commence à courir qu’à compter du dernier acte du mode opératoire de l’auteur de l’infraction.

Néanmoins une loi du 14 mars 2011[15]a apporté une modification à cette règle concernant une personne vulnérable « du fait de son âge, d’une maladie, d’une infirmité, d’une déficience physique ou psychique ou de son été de grossesse » en ne faisant commencer à courir le délai de prescription qu’à compter du jour où l’infraction apparaît à la victime dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique.

B – L’auteur personne morale

L’article 223-15-4 du Code pénal dispose que les personnes morales peuvent être déclarées responsables pénalement du délit d’abus de faiblesse. La peine principale encourue sera alors une amende dont le montant maximum est de 1 875 000 € euros a laquelle pourront s’ajouter les peines mentionnées à l’article 131-39 du Code pénal ainsi que la peine complémentaire de confiscation prévue par l’article 131-21 du même code.

Notaires et abus de faiblesse:

Les jugements des tribunaux correctionnels[16]concernant notaires et abus de faiblesse laissent ressortir deux choses:

  • Une obligation de prise en compte par le notaire de l’état physique et mental de ses clients,
  • Une obligation de prudence du notaire lorsque des opérations à des prix anormalement bas sont réalisées par des personnes âgées.

Ces obligations font écho à l’article 3.2.1 du règlement national des notaires pris en applicationde l’article 26 du décret n° 71-942 du 26 novembre 1971:

« Le notaire doit à sa clientèle sa conscience professionnelle, ses égards, l’impartialité, la probité et l’information la plus complète.

L’intérêt du client prime toujours le sien.

Il doit choisir les moyens les plus appropriés pour parvenir au résultat désiré par le client, en conformité avec la loi.

Il est interdit aux notaires, soit par eux-mêmes, soit par personnes interposées, soit directement, soit indirectement de se livrer ou de s’intéresser à aucune des opérations prohibées par l’article 13 du décret n° 45-0117 du 19 décembre 1945. »

Enfin, il convient de souligner que les affaires pénales impliquant directement les notaires (auteur ou complice, cette dernière qualité étant plus fréquemment retenue) sont relativement rares et ne vont jamais jusqu’au stade de la Cour de cassation.

[1]Loi n°2001-504 du 12 juin 2001

[2]Cass. Crim. 23 juin 2009, n°08-82411

[3]Loi n°2009-526 du 12 mai 2009

[4]Cass. Crim. 29 novembre 2000, n°00-80522, Cass. Crim. 30 avril 1996, n°96-80068

[5]Attention, La vulnérabilité n’est pas automatiquement retenue pour les personnes placées sous un régime de protection, exemple d’une personne sous curatelle, Cass. Crim. 16 novembre 2004, n°03-87968

[6]Cass. Crim. 27 juin 2012, n°11-83695

[7]Note LexisNexis du Professeur Guy Raymond, JurisClasseur Fasc. 47: ABUS DE FAIBLESSE

[8]Cass. Crim. 26 mai 2009, n°08-85601

[9]Voir supra, loi n°2011-504 du 12 juin 2001

[10]Cass. Crim. 16 novembre 2004, n°03-87968

[11]Cass. Crim. 15 octobre 2002, n°01-86697

[12]Cass. Crim. 12 janvier 2000, n°99-81057

[13]Note précitée du Professeur Guy Raymond, CA Bordeaux, Juris-Data n°1998-042956

[14]Voir supra, loi n°2009-526 du 12 mai 2009

[15]Loi n°2011-267 du 14 mars 2011

[16]TC Saint Etienne 10 novembre 2007, TC Nanterre 13 décembre 2012